L’attrition désigne les patients inclus dans l’essai et qui ne contribueront pas à l’analyse car ils auront été « sortis de l’étude ».
Situation | Bonne gestion |
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retrait de consentement à être traité dans l’essai | arrêt du traitement de l’étude, négociation avec le patients pour qu’il accepte d’être suivi au moins pour le critère de jugement principal et la mortalité |
retrait de consentement à être suivi | le patient est perdu de vu |
arrêt du traitement de l’étude (effet indésirable, choix du patient, choix du médecin) | le patient continu à être suivi comme s’il n’y avait pas eu d’arrêt du traitement. Le critère est mesuré à la fin du suivi initialement prévu |
perdu de vue | aucune solution |
L’attrition va être une source de biais lorsqu’elle ne se réalisera pas de la même façon entre les 2 bras de l’essai. En effet, l’attrition est un facteur pouvant affecter la valeur du critère de jugement en modifiant le dénominateur (exclusion d’un patient n’ayant pas fait d’événement) ou le numérateur et le dénominateur (dans le cas de l’exclusion d’un sujet ayant fait un événement) de la fréquence des événements dans le bras considéré. Si cette attrition n’est pas symétrique entre les 2 bras, elle est donc susceptible d’entraîner un biais (cf. définition d’un biais ???). La situation typique de biais une exclusion des patients de l’analyse en fonction de leur évolution et du bras dans lequel ils sont inclus. Certains patients du bras expérimental qui ont une évolution péjorative (ou qui ont fait l’événement critère de jugement) sont exclus. Cela entraîne une sous estimation du risque dans ce bras. Dans le bras contrôle, au contraire, ce sont certains patients qui ont une évolution favorable qui ont été exclus (voyant leur état s’amélioré, ils ont abandonnés volontairement l’essai et ont donc été considéré comme des perdus de vue). Dans ce groupe, l’exclusion de l’analyse de ces patients entraîne donc une sous estimation du risque (par réduction du dénominateur seulement). Au total, si le traitement étudié n’a aucun effet, le même risque est attendu dans les 2 bras, conduisant à un risque ratio de 1. Cependant, ces exclusions de patients vont conduire à un risque ratio inférieur à 1 (sous-estimation du risque dans le bras expérimental et surestimation dans le groupe contrôle) et il aura donc apparition d’un résultat biaisé. Bien sûr, cette situation relève quasiment d’un traitement malhonnête des données mais en présence d’une attrition dont ne connaîtra jamais la réelle origine, il n’est pas possible d’exclure un processus de cette nature.
Deux principes méthodologiques ont été inventés pour éviter que l’attrition puisse entraîner un biais : l’analyse en intention de traiter auquel est adjoint le remplacement des données manquantes. Comme tous les principes méthodologiques de protection contre les biais, ils produisent des résultats conservateurs : ils empêchent de conclure à tort à l’efficacité du traitement (alors que celui-ci est en réalité sans effet) mais ils peuvent conduire à ne pas conclure à l’efficacité qui existe pourtant en réalité (cf. principes de protection contre les biais). L’analyse en intention de traiter empêche les exclusions du fait de l’investigateur. Comme, tous les sujets doivent être analysés (et dans le groupe où ils ont été randomisés), il n’y a plus de possibilité de faire sortir des sujets de l’analyse. De même comme les patients doivent être maintenu dans leur bras d’origine, il est impossible de faire des « pseudo exclusions » en les basculant dans l’autre groupe pour une raison x ou y. Par contre l’analyse en ITT ne gère pas les exclusions, indépendantes de l’investigateurs et provenant du fait des patients eux-mêmes ou de leur médecins, qui conduisent à ce qu’ils deviennent des perdus de vue (valeur du critère de jugement manquant). Lorsque le patient est perdu de vu, aucune valeur pour le critère de jugement n’est disponible. Même si l’on a la volonté de le maintenir dans l’analyse (ITT), il est impossible de le prendre en compte réellement vu qu’on ne dispose d’aucune valeur à analyser et l’attrition persiste (l’effectif des patients analysés reste inférieur à celui des patients randomisés). Pour supprimer complètement cette attrition, il faut donc procéder à l’attribution arbitraire d’une valeur au niveau des critères de jugement manquant afin de pouvoir intégrer les patients concernés dans l’analyse. Il faut effectuer un remplacement des données manquantes.
en cancéro souvent censure sur arrêt prématuré du traitement exempel OCEAN cancer de l'ovaire bevacizumab
Le biais d’attrition est le biais induit par l’exclusion de patients au cours de l’étude. Cette perte (attrition) est susceptible d’induire un biais, surtout quant ces exclusions ne se font pas strictement au hasard mais avec une probabilité dépendant du traitement reçu et/ou de l’évolution du patient.
Pour éviter ce biais, tous les patients inclus dans l’essai doivent être pris en compte dans l’analyse. Autrement, en cas d’attrition, le résultat final cours le risque de faire conclure à tort à une différence entre les traitements comparés. Pourtant, le maintient dans l’analyse de patients qui n’ont pas été traités conformément avec le protocole, qui ont reçu par erreur le traitement de l’autre groupe ou qui ont eu un suivi incomplet, peut apparaître surprenant et ne pas permettre une estimation correcte de l’effet du traitement évalué. En fait, nous allons montrer que seul le maintient de ces patients dans leur groupe d’origine évite les biais. Cette stratégie d’analyse s’appelle l’analyse en ITT et s’oppose à l’analyse en per protocole qui sélectionne les patients analysés sur le respect du protocole et la disponibilité des données. Mais l’analyse en intention de traiter n’est pas suffisante pour éviter le biais d’attrition. EN cas de données manquantes sur le critère de jugement principal, l’ITT n’assure pas que tous les patients inclus seront analysés. Pour atteindre cet objectif il faut prendre en compte ces patients pour lesquels aucune valeur du critère de jugement n’est disponible en remplaçant les données manquantes.
Contrôle du biais d’attrition = analyse en intention de traiter + remplacement des données manquantes
Comment doivent être prises en compte ces déviations au protocole ? La première idée venant à l'esprit est de ne pas prendre en compte ces patients dans l'analyse car ils ne permettent pas de mesurer de façon optimale l'effet du traitement. En effet, soit ils n’ont pas pu bénéficier de la totalité du bénéfice apporté par le traitement, soit il n’a pas été possible de mesurer correctement l’effet de ce traitement chez eux. Même si elle paraît logique à première vue, cette façon de procéder est susceptible de biaiser les résultats. Les retraits de l'essai (appelés aussi sorties de l’essai, « drop out ») risquent d’introduire un biais car ils entraînent la destruction de la comparabilité initiale des groupes issus de la randomisation. Par exemple, il peut arriver qu’un patient présente le critère de jugement juste après avoir été randomisé et avant même d’avoir reçu le traitement de l’essai. Le retrait de ce patient de l’étude pourrait paraître logique puisqu’il n’a pas eu le temps de bénéficier du traitement, mais cela reviendrait à favoriser ce groupe en lui retirant un patient à haut risque. L’autre mécanisme par lequel les « sorties d’étude » introduisent un biais provient du fait que les écarts au protocole peuvent être liés à l'effet du traitement.
Pour éviter ces biais et maintenir la comparabilité initiale des groupes, un essai doit être analysé en intention de traiter (« intention to treat analysis » ) {Lachin, 2000 ;Lewis, 1993 ;Lee, 1991}, c’est-à-dire en analysant tous les patients randomisés dans leur groupe de randomisation, quel que soit le traitement qu’ils ont effectivement reçu ou quel que soit leur devenir dans l’essai. Pour réaliser cette analyse, il convient que le critère de jugement soit disponible pour tous les patients et donc qu’il y ait aucun perdu de vue.
Tableau 1 – Terminologie. Arrêt de traitement Patient qui arrête prématurément de prendre le traitement de l’étude. Les arrêts de traitement ne sont pas forcément des écarts au protocole ; Celui-ci peut très bien (et doit) prévoir l’arrêt des traitements en cas de survenue d’événements indésirables. Sortie de l’essai Patient inclus dans l’essai mais qui en est retiré pour une raison quelconque : arrêt de traitement, écarts au protocole, inclusion à tort, etc. Écart au protocole Patient, qui à un moment ou un autre de l’essai, n’a pas été traité ou suivi en conformité avec le protocole. Inclus à tort Patient inclus dans l’essai alors qu’il ne présentait pas tous les critères d’inclusions ou qu’ils présentait au moins un critère d’exclusion. Perdu de vue Au sens premier, patient dont le devenir est inconnu et pour lequel le critère de jugement est indisponible. Par extension peut définir tout patient pour lequel le critère de jugement est indisponible quelle qu’en soit la raison (patient perdu de vue, critère non mesuré). Donnée manquante Patients pour lequel le critère de jugement est indisponible.
Le principe de l'analyse en intention de traiter stipule que tous les patients randomisés soient suivis jusqu'à leur décès ou à la fin de l'essai, ou jusqu'à l'observation de l'événement critère de jugement, quelle que soit leur observance au traitement de l’étude. L'analyse en intention de traiter se distingue donc des autres formes d'analyses, comme l'analyse per protocol (« per protocol analysis »), où des patients sont exclus de l'analyse sur la base d'information acquise après randomisation. Ces procédés s'apparentent à une sélection post-hoc des observations participant à l'analyse et sont susceptibles d'introduire un biais. En effet, étant donné que cette sélection post-hoc s'effectue sur des critères observés après randomisation, les résultats ne peuvent pas s'appliquer à la population des patients initialement traités. De plus, étant donné que les patients analysés ne sont pas identifiés avant la randomisation, les propriétés de la randomisation ne s'appliquent plus à la sous-population sélectionnée et empêchant ainsi l’évaluation non biaisée de l'effet du traitement. Le fait que les critères de sélection aient été définis a priori dans le protocole et qu'il n'y a pas de déséquilibre significatif des caractéristiques des groupes ne permet pas d'éliminer l'existence de ces biais.
Tableau 2 – Différentes causes d’arrêt de traitement. Résultat thérapeutique insuffisant
L’exemple suivant illustre le type de biais que peut introduire la non-prise en compte dans l’analyse de la totalité des patients randomisés. Un essai compare un nouveau traitement N à un traitement standard S en utilisant comme critère de jugement le taux d’échecs thérapeutiques (nombre de patients n’ayant pas répondu au traitement). En réalité le nouveau traitement a la même efficacité que le traitement standard. Le vrai risque relatif de la comparaison N vs S est donc RR=1. Par contre, le nouveau traitement est moins bien toléré que le traitement standard. Il s’avère aussi que la survenue d’un effet indésirable entraîne plus fréquemment l’arrêt de la prise du traitement chez les patients qui sont en échec thérapeutique que chez ceux qui répondent au traitement.
Le tableau 3 présente les résultats de cet essai. En analysant tous les patients randomisés (qu’ils aient arrêté ou non la prise du traitement), il s’avère que N n’est pas différent de S (taux d’échecs thérapeutiques identiques dans les deux groupes 10%). Par contre en retirant de l’analyse les patients qui ont arrêté leur traitement avant la fin prévue, le taux d’échec thérapeutique s’avère plus faible avec le nouveau traitement (8,6%) qu’avec le traitement standard (9,8%), ce qui conduit à conclure faussement que N est plus efficace que S (risque relatif de 0,88). Ce biais provient du fait que les arrêts de traitement ne sont pas indépendants de l’effet du traitement. La sortie de l’essai de ces arrêts de traitement fait que ces patients ne sont pas évalués vis-à-vis de leur réponse thérapeutique ce qui rend impossible la détection du biais. Par contre si aucun patient n’est sorti de l’étude, les arrêts de traitement sont enregistrés puis le patient évalué au terme. Une situation de ce type peut être imaginée, par exemple, avec un nouvel antidépresseur dont l’efficacité sur les troubles de l’humeur est strictement identique au traitement de référence, mais qui va s’accompagner de plus d’effets indésirables : sécheresses buccales, nausées. Un patient aura d’avantage tendance à arrêter un traitement qu’il supporte mal, s’il ne note pas d’amélioration de son état thymique. L’arrêt du traitement ne sera donc pas indépendant de l’effet du traitement.
Tableau 3 – Exemple de biais introduit par les sorties d’essais. Les deux traitements ont la même efficacité et les patients non-répondeurs arrêtent deux fois plus fréquemment leur traitement que les répondeurs. Cependant, le nouveau traitement est moins bien supporté que le traitement standard. Nouveau traitement Traitement standard Patients randomisés Effectif randomisé 1000 1000 Fréquence échec 10,0% 10,0% Échecs thérapeutiques (non répondeurs) 100 100 Patients analysés taux d'arrêts chez les répondeurs 13% 2% taux d'arrêts chez les non répondeurs 26% 4% sortie d’étude chez les répondeurs 117 18 sorties d’étude chez les non répondeurs 26 4 répondeurs 783 882 non répondeurs 74 96 effectif analysé 857 978 fréquence échec 8,6% 9,8% risque relatif 0,88
Cet exemple théorique illustre la première justification de l’intérêt de l’analyse en intention de traiter : éviter le biais introduit par l’exclusion de patients dont le taux n’est pas indépendant de la réponse thérapeutique en prenant en compte la totalité des patients randomisés. L’analyse en intention de traiter peut paraître parfois « choquante » et conduire à des résultats peu pertinents. C’est par exemple le cas où une forte proportion des patients d’un groupe a reçu le traitement de l’autre groupe. L’analyse en intention de traiter conduit à comparer deux groupes où les patients ont quasiment reçu le même traitement. Bien entendu cette situation n’est pas optimum pour la mise en évidence de l’effet du traitement. L’analyse en intention de traiter entraîne une perte de puissance, mais c’est la seule façon de gérer les écarts aux protocoles sans prendre un risque important de biais. Pour éviter de se retrouver dans cette situation les écarts aux protocoles doivent être exceptionnels et tout doit être fait dans le déroulement de l’essai pour les éviter le plus possible, sans, bien entendu, que cela aille à l’encontre de l’intérêt du patient. Il n’est pas acceptable de poursuivre l’administration d’un traitement mal supporté sous prétexte que l’arrêt du traitement va perturber la recherche de l’effet du traitement. De plus il faut remarquer que certains écarts au protocole sont des événements se produisant dans la vie de tous les jours et qu’ils reflètent ce qui se passe en pratique.
Exemple
L'objectif de l'essai Coronary Drug Projet était de savoir si la prise d'un hypocholestérolémiant pouvait réduire, par rapport à la prise d'un placebo, la mortalité à 5 ans de patients atteints de coronaropathies {The Coronary Drug Project Research Group, 1975 }. Les résultats furent décevants : la mortalités était de 20% dans le groupe hypolipémiant contre 21% dans le groupe placebo (différence non significative). Il était tentant de ne considérer que les patients qui avaient pris régulièrement le traitement hypocholestérolémiant et de les comparer aux patients du groupe placebo. Cette mortalité est alors de 15% et la différence devient statistiquement significative avec le placebo. Cependant, dans le groupe placebo, le taux de mortalité des patients observants était aussi de 15% !
Sacket relate l’exemple d’un essai comparant la chirurgie au traitement médical pour la prévention des accidents vasculaires cérébraux en cas de sténoses carotidiennes bilatérales {Fields, 1970 } {Sackett, 1979 }. Le critère de jugement utilisé combinait AVC, accident ischémique transitoire et décès. L’analyse des données montrait une diminution de fréquence du critère de jugement de 27%, statistiquement significative (p=0,02). Mais cette analyse excluait 16 patients qui avaient présenté un AVC ou qui étaient décédés avant de sortir de l’hôpital. Tous les patients exclus sauf 1 appartenaient au groupe chirurgie. L’analyse de tous les patients randomisés ne montre pas de différence significative p=0,09 (tableau 4). Cet exemple montre comment l’exclusion des patients peut transformer la nature des conclusions d’un essai.
Tableau 4 – Différence de résultat entre l’analyse initial et l’analyse en intention de traiter dans un essai de chirurgie carotidienne. Traitement Ev / n Fréquence Analyse initiale médical 53/72 74% p=0,02 chirurgie 43/79 54% Analyse en intention de traiter médical 54/73 74% p=0,09 chirurgie 58/94 62%
Exemple
Dans un essai dans l’angor comparant sur le pronostic, traitement médical contre chirurgie, les patients du groupe traitement médical qui nécessitent un recours à la chirurgie (par exemple pour une dégradation subite de leur état) doivent être analysés dans leur groupe d’origine pour lequel ils représentent un échec. Les passer dans le groupe chirurgie favorise le traitement médical en faisant disparaître certains de ses échecs et défavorise le traitement chirurgical si ces patients sont à plus mauvais pronostic.
En fonction de la façon dont sont pris en compte les écarts au protocole, plusieurs types d’analyse sont possibles : analyse en intention de traiter, en per protocol, en traitement reçu. Chacune de ces analyses s’appuie sur une population (« data set ») différente qui sont respectivement pour les deux premières : la population en intention de traiter (« full data set »), la population per protocol (« per protocol data set »). L'analyse per protocole donne une meilleure estimation de l'effet potentiel du traitement (celui obtenu dans une situation idéale). Mais cette estimation est potentiellement biaisée. L'analyse en intention de traiter garantit l'absence de biais et permet l'estimation de l'effet du traitement dans les conditions proches de celle de la vie réelle. L'analyse principale d'un essai doit donc être faite en intention de traiter, complétée, éventuellement par une analyse en per protocol ou en traitement reçu. L'application du principe de l'intention de traiter nécessite un suivi complet de tous les patients randomisés pour tous les critères de l'étude
Tableau 5 – Les différentes types d’analyses possibles : intention de traiter, per protocole et en traitement reçu Intention de traiter Analyse de tous les patients randomisés dans le groupe où ils furent randomisés
L’autre justification du principe de l’intention de traiter est qu’il permet d’analyser l’essai conformément à ce qui se passe dans la pratique médicale courante. Par exemple certains patients stoppent prématurément leur traitement car ils le supportent mal. Cette mauvaise tolérance peut limiter l’intérêt du traitement et il est impératif que ces patients soient pris en compte dans l’analyse.
Pour pouvoir être efficace, l’administration de fibrinolytique à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde doit être effectuée le plus précocement après l’obstruction coronarienne. Une reperfusion trop tardive, survenant au delà du stade d’ischémie réversible, ne permet pas de limiter la taille de la nécrose et ne peut donc pas avoir un effet sur la mortalité. Ainsi, ce traitement doit être administré au stade de suspicion d’infarctus, avant que le diagnostique n’ait pu être confirmé par l’observation de l’élévation enzymatique qui se produit plus tardivement. Cette nécessité conduit donc à inclure dans les essais des patients qui s’avèreront ultérieurement ne pas présenter des infarctus. Comment analyser ces patients ? Certains pourraient les exclure en argumentant que ces patients n’apportent aucune information sur l’effet du fibrinolytique étant donné qu’ils ne souffraient pas de la pathologie visée. Cependant, parmi les tableaux cliniques pouvant se présenter comme une suspicion d’infarctus figurent les péricardites et les dissections aortiques. Ces pathologies sont à haut risque de complications graves lors de l’administration d’un fibrinolytique. Il est donc indispensable de conserver ces patients dans l’analyse pour vérifier que les effets délétères qu’ils pourraient présenter ne contrebalancent pas la totalité du bénéfice dégagé chez les infarctus confirmés. En effet, dans la « vraie vie » tous ces patients seront traités. L’essai ne cherche pas à montrer que le traitement est efficace dans l’absolu (en cas d’infarctus confirmé et uniquement dans ce cas là) , mais que l’utilisation de ce traitement s’accompagne d’une réduction de la mortalité chez les patients traités, dans les conditions où il sera utilisé en pratique, ce que seule l’analyse en intention de traiter permet de le vérifier.
Tableau 6 – Comparaison du bénéfice clinique et de l’efficacité « pharmacologique » Objectif Type d'analyse Approche Intéresse le Bénéfice clinique ("clinical effectiveness") Analyse en intention de traiter Essai pragmatique Clinicien, santé publique Efficacité « pharmacologique » Analyse per-protocole Essai explicatif Pharmacologue, chercheur En conclusion, l'analyse en intention de traiter produit la réponse la plus proche de la réalité et la moins biaisée à la question la plus pertinente celle de l'efficacité clinique.
Dans les années 1980 plusieurs anticorps monoclonaux dirigés contre l’endotoxine des bactéries gram négatif ont été développés comme traitement adjuvant des septicémies à gram négatif (G-). L’évaluation clinique de l’un d’entre eux, le HA-1A (Centoxin), illustre les problèmes posés par les analyses per-protocole. Pour pouvoir être efficace, ces anticorps monoclonaux doivent être administrés très précocement en cas de suspicion de septicémie à G-, bien avant la confirmation bactériologique par les hémocultures. Dans un premier essai {Ziegler, 1991 }, publié en février 1991 dans le New England Journal of Medicine, la mortalité à 28 jours passait de 49% sous placebo à 30% chez les patients traités par HA-1A, réduction significative (p=0,014). Dans l’essai, 543 patients ont été randomisés (262 dans le groupe HA-1A et 281 dans le groupe placebo) mais seulement 200 d’entre eux se sont avérés porteurs d’une bactériémie à gram négatif. L’analyse de l’efficacité n’a été réalisée que chez ces 200 patients (95 placebo et 105 HA-1A) ce qui revient à exclure 343 sujets (63%) de l’analyse. Malgré ses limites méthodologiques ce résultat fut accepté et justifia la prescription de ce traitement coûtant au alentours de dans plusieurs pays (Angleterre et France entre autres). En fait, l’analyse en intention de traiter ne montre pas de bénéfice pour l’ensemble des patients inclus. La sélection après randomisation des patients participant à l’analyse détruit la comparabilité issue de la randomisation comme en témoigne l’analyse des caractéristiques des bases des patients. Le groupe traité se trouve favorisé avec, dans le groupe placebo, plus de CIVD, de détresse respiratoire, d’insuffisance hépatique aiguë et de défaillance rénale aiguë (tableau 7). Le pronostic des patients du groupe traité était donc, initialement, meilleur que celui des patients du groupe contrôle.
Tableau 7 – Sévérité de l’état septique à l’entrée chez les patients avec bactériémie Gram négatif. Variable Placebo (n=95) HA-1A (n=105) Score APACHE II 25,7+/-8,1 23,6+/-9,0 pourcentage Hypotension 51 51 Intubation endotrachéale 55 54 Coagulation intravasculaire disséminée 21 18 Détresse respiratoire de l’adulte 13 9 Défaillance hépatique aiguë 26 19 Insuffisance rénale aiguë 46 35
En conclusion, l’interprétation qui fût faite en 1991 des résultats de cet essai était abusive. Ce résultat n’apporte pas la preuve que ce traitement réduit la mortalité des patients traités. Au mieux, et sans garantie méthodologique, le traitement n’apporte un bénéfice qu’à une faible proportion des patients.
Un second essai (CHESS) a été réalisé et publié en 1994 dans les Annals of Internal Medicine {McCloskey, 1994}. 2199 patients furent inclus dans cet essai dont 621 (28,2%) s’avérèrent a posteriori être porteurs d’une bactériémie à gram négatif. Les taux de mortalité à 14 jours furent de 32% dans le groupe placebo et de 33% avec l’anticorps monoclonal (p=0,864), tandis qu’ils furent respectivement de 37% et 41% chez les sujets sans bactériémie à gram négatif (p=0,073). Cet essai ne confirme donc pas le premier et ne donne pas d’argument pour l’utilisation de ce traitement. Au contraire, il suggère même une tendance à une surmortalité chez les sujets sans infection à gram -.
L’exemple du Centoxin illustre aussi les limites de l’approche physiopathologique pour la validation ultime d’un traitement. L’essai de 1991 était un essai qui se voulait explicatif : l’HA-1A réduit-il la mortalité de ses patients cibles ? Malheureusement la réponse à cette question nécessite une détermination a posteriori des patients cibles, ce qui expose à plusieurs sources de biais (destruction de la randomisation, absence analyse en intention de traiter, multiplicité des comparaisons). Or, la véritable question qui se pose en pratique médicale est : l’utilisation de l’HA-1A chez les patients suspects de développer une septicémie à G- permet-elle d’en réduire la mortalité
Des traitements peuvent être plus ou moins bien supportés par les patients mais cependant apporter un bénéfice aux patients qui le tolèrent. C'est par exemple le cas avec certaines chimiothérapies anticancéreuses ou les traitements antiviraux. La question est donc de montrer que ces traitements sont efficaces chez les patients les supportant. Nous avons vu qu’une l'analyse post-hoc limitée aux patients supportant le traitement ne répond pas à cette question. Un plan expérimental non biaisé mais non entièrement satisfaisant consiste à d'abord tester la tolérance au traitement dans une phase pré randomisation puis de randomiser les patients qui tolèrent le traitement entre un groupe expérimental et un groupe contrôle.
Ce plan permet de répondre à la question de l'efficacité chez les sujets tolérant le traitement, mais il ne prend pas en compte le devenir des patients non tolérants et ne répond pas à la question pratique. En effet, que deviennent les patients ne tolérant pas le traitement : le retard de mise en place d'un traitement induit par le test de tolérance leur est peut-être dommageable ? L'intolérance au traitement est peut-être le fait d'effets indésirables sérieux ?
La réponse satisfaisante à cette question peut être obtenue dans un essai de stratégie. Une stratégie où les patients reçoivent le nouveau traitement tant qu'ils le supportent puis le traitement de référence en cas d'apparition d'intolérance est comparée à une stratégie où tous les patients reçoivent le traitement de référence. Cette approche intègre les éventuels effets délétères qu'auraient pu subir les patients n'ayant pas toléré le nouveau traitement et répond à la question très pragmatique : y a-t-il un intérêt à débuter le traitement par la nouvelle thérapeutique. En effet, en pratique, on propose le traitement à un sujet sans savoir s'il va le tolérer ou non. Ce dont on veut s'assurer c'est, qu'a priori, il ne pourra que bénéficier de cette stratégie ; c’est-à-dire, s'il tolère le traitement augmenter ses chances de succès thérapeutique et s'il ne tolère pas, avoir les mêmes chances que s'il avait été traité d'emblée avec le traitement de référence. Utiliser un traitement qui a montré qu'il apportait un bénéfice supplémentaire chez les patients qui le supportent est une approche centrée sur la fascination de trouver des traitements intéressants, mais n'est pas une approche centrée sur l'intérêt des patients. On obtient un gain chez certains patients au détriment d'autres. Il faut montrer que le traitement apporte un bénéfice supplémentaire chez ceux qui le tolèrent et que, chez les patients ne tolérant pas le traitement, la période nécessaire pour le constater n'a pas entraîné un retard de mise en place d'un traitement pouvant être dommageable pour le patient et que les effets liés à l'intolérance n'ont pas été délétères.
Ainsi, en chirurgie, il serait aberrant de ne mesurer l’efficacité d’une intervention chirurgicale que chez les patients chez lesquelles elle a réussi et d’écarter ainsi les décès péri-opératoires, les complications ou les échecs du geste chirurgical.
L’analyse en intention de traiter peut parfois paraître « insolite ». C’est pourtant la seule approche qui évite l’apparition de biais liés aux écarts au protocole ou aux arrêts de traitements. L’analyse en intention de traiter peut être complétée à titre documentaire d’une analyse per-protocole permettant d’approcher l’efficacité « théorique » d’un traitement utilisé dans des conditions idéales. Mais cette efficacité « théorique » surestime souvent l’efficacité qui sera obtenue en pratique, car elle ne prend pas en compte les errements de la « vraie vie ». Par contre, l’analyse en intention de traiter mesure le bénéfice qu’apporte un traitement dans des conditions proches de celles de son utilisation en pratique courante.
En lecture critique, pour l’évaluation de la validité interne, il convient de déterminer si tous les patients randomisés sont évalués et entrent dans le calcul des résultats finaux. Il est donc nécessaire de chercher s’il existe des patients randomisés qui ont été exclus de l’analyse.
Les différents points à analyser sont les suivants :
Assez souvent et surtout dans les publications anciennes, le nombre de patients exclus après randomisation n’apparaît pas. Dans ce cas, il est impossible d’écarter un certain degré de suspicion. Seule la mention explicite de l’absence de perdus de vue ou d’exclusion après randomisation évite les suspicions. Cette information positive est donc présentée dans les publications « modernes ». Parfois l’analyse est conduite suivant le principe de l’intention de traiter (aucun patient n’est sorti de l’essai par l’investigateur) mais l’existence de nombreux perdus de vue entraîne l’exclusion de ces patients de l’analyse. Même si cette analyse est en intention de traiter les perdus de vue font courir le risque de biais, ce qui implique de prendre en compte les données manquantes (voir chapitre : Données manquantes).
Vickers Andrew J, Altman Douglas G. Statistics Notes: Missing outcomes in randomised trials BMJ 2013; 346:f3438
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