L’essai croisé
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Dans un essai croisé, chaque patient reçoit tous les traitements de l’essai, administrés lors de périodes successives.
L’essai croisé (« cross-over ») utilise le patient comme son propre témoin. Tous les patients reçoivent le traitement étudié et le traitement contrôle dans un ordre aléatoire. L’avantage de ce plan d’expérience est d’assurer une forte comparabilité des groupes contrôle et traité étant donné que ce sont les mêmes patients que l’on retrouve dans ces deux groupes. La variabilité inter-patients est supprimée et remplacée par une variabilité intra-patients, qui est souvent plus petite.
Le temps de participation d’un patient à
l’essai est divisé en deux périodes de temps. Durant
chacune de ces périodes, le patient recevra un traitement
différent. Par exemple, le traitement étudié E durant la
première période et le traitement contrôle C durant
Figure 1 – Représentation schématique d’un essai croisé. A mi-parcours les patients d’un groupe de traitement croisent pour rejoindre l’autre groupe de traitement. À la fin tous les patients seront passés par chaque groupe de traitement. L’ordre d’administration des traitements crée deux groupes dont l’effectif est égal à la moitié du nombre de patients inclus dans l’essai.
La valeur du critère de jugement est mesurée à la fin de chaque période. Chaque patient produit donc une mesure du critère de jugement sous le traitement étudié et une avec le traitement contrôle. Par exemple, dans un essai d’un nouveau broncho-dilatateur contre placebo, chaque patient donne une valeur de peak-flow sous broncho-dilatateur et sous placebo. L’ensemble des patients permet donc de disposer d’une série de mesures sous broncho-dilatateur et d’une série sous placebo, qui permettent de calculer un effet du traitement par comparaison.
Valeur
sous traitement actif patient 1 (2e
période) patient 2 (1er
période) patient 3 (2e
période) patient 4 (1er
période) patient 5 (1er
période) patient 6 (2e période) |
|
Valeur sous
placebo patient 1 (1er
période) patient 2 (2e
période) patient 3 (1er
période) patient 4 (2e
période) patient 5 (2e
période) patient 6 (1er
période) |
Figure 2 – Répartition des valeurs du critère de jugement par traitement. Chaque patient apparaît dans les deux groupes. Chaque groupe contient le même nombre de valeurs que de patients inclus dans l’essai.
Pour chaque patient, l’ordre d’application des
traitements (séquence E-C ou C-E) est déterminé de
façon aléatoire. Cette randomisation permet de prendre en compte
les facteurs de confusion, en particulier ceux qui font que la première
période est systématiquement différente de
La compréhension du plan d’expérience
croisé est rendue difficile par le nombre de groupes différents
qu’il engendre. Les deux séquences d’administration du
traitement définissent deux groupes : celui des patients recevant
Réduction de la variance dans l’essai croisé
Le plan d’expérience croisé a pour avantage de réduire la variance de la mesure de l’effet traitement par rapport au plan en groupes parallèles.
).
Dans le plan d’expérience en groupe
parallèle, la variance de l’effet traitement mesure car les
variables X et Y sont issues de deux groupes indépendants
(mesurées chez des patients différents).
Dans un essai croisé, les valeurs X et Y
sont obtenues chez les mêmes patients et sont donc
corrélées entre elles. X et Y n’étant
plus indépendantes, leur covariance n’est pas nulle. La variance de
l’effet traitement mesuré par
. En prenant un coefficient de corrélation de
0,5 qui est une valeur raisonnable, la variance de l’effet traitement
devient
. Dans ce cas, l’essai croisé
nécessite 4 fois moins de sujets que l’essai en bras
parallèles. Bien entendu s’il s’avère qu’il
n’y a pas de corrélation entre les deux mesures effectuées
chez le même patient, le plan d’expérience croisé
n’apporte pas de gain [3].
L’essai croisé permet de comparer les traitements au sein du même malade (comparaison inter-individuelle) au lieu d’effectuer une comparaison entres groupes de sujets (comparaison inter-individuelle).
Étant donné que chaque patient apparaît à la fois dans le groupe traité et dans le groupe contrôle, des techniques statistiques employées pour les essais en bras parallèles ne peuvent pas être utilisées car les deux échantillons ne sont pas indépendants. L’analyse est réalisée avec les méthodes pour séries appariées. Pour chaque patient, la différence entre la valeur du critère de jugement sous traitement étudié et celle sous traitement contrôle est calculée. En l’absence d’effet traitement, ces différences vont fluctuer autour de zéro et dans le cas contraire autour de la vraie valeur de l’effet traitement. Ces différences sont indépendantes entre-elles puisqu’elles ont été obtenues chez des patients distincts. La recherche d’un effet traitement est donc effectuée en comparant la moyenne de ces différences à zéro[1] et en utilisant la variance des différences.
Assez souvent, le critère de jugement n’est pas
la valeur prise par un paramètre en fin de période de traitement
mais son changement entre le début et la fin de la période de
traitement. Par exemple, l’effet d’un traitement antihypertenseur
peut être évalué par le changement de pression
artérielle entre avant et après la période de traitement.
Pour chaque patient, deux changements sont mesurés : celui
observé durant la première période et celui de
Un nouveau traitement antihypertenseur est évalué contre placebo dans un essai croisé incluant 13 patients. Le critère de jugement est le changement de pression artérielle systolique (PAS) observée durant la période de traitement.
Le tableau 1 présente les données recueillies durant les 2 périodes chez les 13 patients ainsi que le changement de PAS.
Tableau 1 – Données individuelles des patients par période
|
Première période |
|
Seconde période |
||||||
Sujet |
Traitement |
PAS avant |
PAS après |
changement |
|
Traitement |
PAS avant |
PAS après |
changement |
1 |
Placebo |
158 |
160 |
2 |
|
T. testé |
158 |
142 |
-16 |
2 |
T. testé |
140 |
117 |
-23 |
|
Placebo |
149 |
153 |
4 |
3 |
Placebo |
152 |
153 |
1 |
|
T. testé |
149 |
128 |
-21 |
4 |
T. testé |
159 |
138 |
-21 |
|
Placebo |
162 |
163 |
1 |
5 |
Placebo |
166 |
167 |
1 |
|
T. testé |
165 |
147 |
-18 |
6 |
Placebo |
162 |
161 |
-1 |
|
T. testé |
152 |
127 |
-25 |
7 |
T. testé |
168 |
149 |
-19 |
|
Placebo |
151 |
151 |
0 |
8 |
T. testé |
153 |
137 |
-16 |
|
Placebo |
160 |
164 |
4 |
9 |
Placebo |
148 |
150 |
2 |
|
T. testé |
164 |
146 |
-18 |
10 |
T. testé |
152 |
134 |
-18 |
|
Placebo |
143 |
138 |
-5 |
11 |
T. testé |
163 |
141 |
-22 |
|
Placebo |
163 |
162 |
-1 |
12 |
Placebo |
168 |
163 |
-5 |
|
T. testé |
156 |
131 |
-25 |
13 |
Placebo |
151 |
149 |
-2 |
|
T. testé |
158 |
137 |
-21 |
Le tableau 2 présente les changements de PAS par traitement. L’effet du traitement est calculé par différence entre le changement observé sous placebo et celui observé avec le nouvel antihypertenseur. Cet effet est donc la baisse de PAS induite par le traitement corrigé de la variation observée sous placebo (et représentant l’effet des facteur de confusion).
L’essai montre une baisse de 20 mmHg avec le traitement étudié par rapport au placebo, avec un écart type de 3,28 mmHg. Cette baisse est significativement différente de zéro.
Le principal avantage de l’essai croisé est d’être, à effectif identique, plus puissant que l’essai en bras parallèles. En effet, la prise du sujet comme son propre témoin diminue la variabilité de la mesure de l’effet traitement. Avec des mesures moins variables il faut donc moins de sujets pour mettre en évidence un effet. Ceci n’est vrai que si, effectivement, il existe une corrélation forte entre les mesures faites chez le même sujet. Pour gagner, il faut que les mesures effectuées chez le même sujet soient moins variables que celles effectuées entre sujets. Si cela n’est pas vérifié, l’essai croisé n’est pas plus puissant.
Tableau 2 – Résultat par traitement
Sujet |
Nouveau |
Placebo |
Effet |
1 |
-16 |
2 |
-18 |
2 |
-23 |
4 |
-27 |
3 |
-21 |
1 |
-22 |
4 |
-21 |
1 |
-22 |
5 |
-18 |
1 |
-19 |
6 |
-25 |
-1 |
-24 |
7 |
-19 |
0 |
-19 |
8 |
-16 |
4 |
-20 |
9 |
-18 |
2 |
-20 |
10 |
-18 |
-5 |
-13 |
11 |
-22 |
-1 |
-21 |
12 |
-25 |
-5 |
-20 |
13 |
-21 |
-2 |
-19 |
moyenne |
-20 |
0 |
-20 |
écart-type |
3,03 |
2,87 |
3,28 |
La corrélation entre les
mesures réalisées chez un même patient est la condition sine
qua non pour obtenir une réduction de variance avec le plan
d’expérience croisé. Le calcul du nombre de sujets prend
donc en compte ce paramètre et plus la corrélation est forte
moins l’effectif nécessaire est important. Cependant, il
n’est pas obligatoire que deux mesures successives faites chez les
mêmes sujets soient fortement corrélées. Entre autres, si
les deux mesures sont effectuées à distance l’une de
l’autre leur corrélation risque d’être faible, ceci
d’autant plus que le paramètre mesuré est variable
d’un instant à l’autre. Par exemple, le taux sérique
de créatinine varie chez le même individu dans de fortes
proportions d’un moment à l’autre (en fonction de
l’alimentation ou de degré de déshydratation). Deux mesures
du taux de créatinine à
L’essai croisé ne peut pas être utilisé dans toutes les situations. Pour être valable il nécessite que plusieurs conditions soient remplies.
1. le
critère de jugement doit pouvoir être mesuré à
plusieurs reprises chez le même sujet. Ce qui exclut la plupart des
événements cliniques comme la mortalité : un patient
décédé en première période ne peut
évidemment plus présenter le critère de jugement en
seconde période ! L’essai croisé est donc inutilisable
avec un critère de jugement basé sur la survenue d’un
événement clinique définitif (comme le
décès, la survenue d’une hépatite, etc.). Par contre
un critère binaire ou un événement clinique qui peut se
répéter est utilisable dans un essai croisé comme la
définition d’un critère succès/échec à
partir de ce qui a été observé sur
2. L’effet des traitements ne doit pas être irréversible pour que les sujets se retrouvent en début de seconde période dans un état identique à celui qu’ils avaient en début de première période. Cela exclut par exemple les traitements qui guérissent.
3. Une période de lavage (« washing out ») doit être aménagée entre les deux périodes pour permettre au traitement administré en premier de disparaître ainsi que ses effets (lavage pharmacocinétique et pharmacodynamique).
4. La maladie de doit pas évoluer de façon notable entre les deux périodes. Par exemple, elle ne doit pas guérir spontanément avant la fin de la deuxième période.
5. Il ne doit pas y avoir d’interférence entre l’ordre d’administration des traitements et leur effet. L’effet d’un traitement doit être le même que celui-ci soit administré en premier ou en second.
6. Le nombre de perdus de vue doit être nul en première période.
7. La
mesure répétée du critère de jugement doit
être dépourvue d’effet de conditionnement, par exemple par
apprentissage lorsque le patient doit remplir un questionnaire ou par
accoutumance du sujet aux effets secondaires. Ces phénomènes
introduisent un effet ordre qui rend la seconde période
systématiquement non comparable à
Concrètement l’essai croisé n’est utilisable que dans des situations particulières : maladie chronique évolution stable, critère de jugement intermédiaire, traitements dont les effets disparaissent rapidement à son arrêt, efficacité d’apparition rapide.
Certaines situations se prêtent à des plans d’expériences similaires à l’essai croisé. En dermatologie, et encore plus en cosmétologie, les traitements topiques peuvent être appliquées simultanément chez le même patient sur deux champs cutanés différents. Encore faut-il que les traitements n’aient pas une diffusion systémique. Une généralisation du plan d’expérience croisé à plus de deux traitements, le carré latin, est couramment utilisé dans les essais de phase 1.
Le principe de l’essai croisé permet aussi la réalisation d’essai de taille 1 [1,2,5,6]. Ces essais qui ne portent que sur un patient et correspondent à une succession d’administration dans un ordre aléatoire de deux ou plusieurs traitements. Ces essais sont utilisables pour évaluer des traitements dans des maladies très rares ou pour rechercher le traitement le plus adapté à un patient.
1. Anonymous. Randomised controlled trials in single patients. Drug Ther
Bull 1998;36:40.
2. Chatellier G. Randomized study of
n-of-1 trials versus standard practice. Rev Epidemiol Sante Publique
1996;44:382-3.
3. Cleophas TJM. Crossover trials
are only useful when there is a positive correlation between the response to
different treatment modalities. Br J Clin Pharmacol 1996;41:235-39.
4. Grizzle JE. The two-period
change-over design and its use in clinical trials. Biometrics 1965;22:467-80.
5. Porta M, Bolumar F, Hernandez I,
Vioque J. N of 1 trials. Research is needed into why such trials are not more
widely used. BMJ 1996;313:427.
6. Saunders KB. n of 1 trials. BMJ
1994;309:1584.
7. Senn SJ. Cross-over trials in clinical research. Chichester: John Wiley, 1993.
Interprétation des essais cliniques pour la pratique
médicale
www.spc.univ-lyon1.fr/polycop
Faculté de Médecine Lyon - Laennec
Mis à jour : aout 2009
[1] avec deux bras parallèles on compare directement la moyenne d’un groupe avec celle de l’autre étant donné que les deux groupes sont indépendants.